Par Larry Wilson. Traduit de l’anglais. La version originale est parue dans Occupational Health & Safety magazine en juillet 2001.
Oui,,…c’est bien un titre accrocheur. Mais, imaginez entendre ce qui suit aux soins de maternité : « Poussez, allez-y, poussez…encore une fois… c’est ça…et…ça y est, une autre fois…et…c’est…c’est…et bien bon sang – c’est un travailleur! »
Ou encore vous entendez ce qui suit au service de la police : « Fred, vous étiez l’enquêteur principal de l’accident impliquant plusieurs véhicules à l’extrémité de la ville, que s’est-il passé? » « Et bien, un travailleur était au volant de chacun des véhicules impliqués dans l’accident …savez-vous, une loi devrait être passée pour interdire à tout travailleur de conduire. »
Évidemment, ces scénarios sont tout à fait ridicules. Il est également absurde de trier les travailleurs comme s’ils étaient une espèce différente (facile à distinguer à la naissance) ou un différent type de personnes (facile à distinguer parmi les statistiques sur les incidents/blessures survenus en automobile). Les travailleurs sont des personnes. Les personnes se blessent, partout, de façon régulière. Et ce, depuis que nous sommes venus au monde.
Les jeunes enfants se blessent 15 à 25 fois par semaine. Cela équivaut à 5 000 blessures dont vous pouvez à peine vous rappeler. Plusieurs d’entre elles seront minimes. Malheureusement, d’autres se situeront un peu plus haut sur la pyramide de risques, où un baiser et un bandage ne suffiront pas pour les soigner.
Les enfants plus âgés, ceux entre 5 et 12 ans, ne se blessent pas aussi souvent – en général, 2 à 4 fois par semaine seulement. Cela équivaut quand même à 1 000 blessures ou presque. Nous passons ensuite au palier secondaire. Et, après le secondaire, nous entrons sur le marché du travail où, dans certains cas, nous sommes censés travailler en ne subissant aucune blessure. L’entreprise ou le bureau corporatif a peut-être imposé cette exigence en se fiant sur ce que nous avons appris au secondaire en regard à la prévention des blessures. Si oui, les membres de la haute direction ont fait leurs études à une école secondaire différente que la majorité des gens. ¹
Donc, avant de quitter le palier secondaire, la plupart d’entre nous avons subi entre 6 000 et 7 0000 blessures non-intentionnelles. Mais, cela ne finit pas là, car, lorsque nous accomplissons le même travail depuis longtemps, il devient facile d’agir avec excès de confiance (il suffit de penser à la conduite automobile). Même si vous ne vous blessez pas aussi souvent que lorsque vous étiez jeune enfant ou au secondaire, vous n’avez pas réussi à ne subir aucune blessure. Vous avez peut-être réussi à ne vous blesser qu’une fois par semaine ou même une fois par mois. Combien de personnes connaissez-vous qui n’ont subi aucune blessure, telle qu’une ecchymose ou une coupure au cours d’une année?
Et encore, ces blessures ne seront pas toutes des blessures minimes. Certaines d’entre elles seront mineures (entorses, points de suture, brûlures au deuxième degré, commotions légères, etc.) d’autres seront majeures (fractures, dislocations, ligaments déchirés, mutilation, etc.) et d’autres encore seront mortelles. Certaines blessures surviendront sur la route. D’autres surviendront à la maison et d’autres encore surviendront évidemment au travail. Toutefois, les blessures qui surviennent au travail sont-elles causées par un travailleur « inintelligent »?
Mais, d’où tient-on l’expression le « travailleur inintelligent »? Au début, on employait peut-être l’expression « erreur humaine », par la suite, elle est devenue synonyme d’erreur du travailleur. Et, puisque les erreurs ne sont commises que par des personnes inintelligentes, l’expression a changé à « travailleur inintelligent ».
Nous pouvons donc avancer que moins de 10 pour cent de toutes les blessures et incidents, que ce soit au travail, à la maison ou sur la route sont attribuables à une défaillance ou à un bris inattendu d’équipement. Ce qui reste, en termes d’événements inattendus et imprévus, est l’élément humain. La plupart des gens sont surpris d’apprendre que le nombre de blessures causées par ce que quelqu’un d’autre fait d’inattendu est également très bas. Au cours des seize dernières années, environ 40 000 personnes oeuvrant dans 300 différentes entreprises ont été interviewées; à la question combien de blessures parmi celles survenues avaient été causées par un effet inattendu provenant de l’équipement ou de votre véhicule, la réponse habituelle était de 2 à 5 pour cent. Par la suite, on leur a demandé combien de fois avaient-elles été blessées parce quelqu’un d’autre avait fait quelque chose d’inattendu. La réponse habituelle était d’environ 5 à 15 pour cent – et, en ce qui concerne ces deux questions, la plupart des gens n’avaient qu’un exemple à donner. Ce qui reste donc, c’est le « moi ». (Voir figure 2 ci-dessous)
En d’autres termes, si l’équipement ou l’autre personne n’a pas fait quelque chose d’inattendu pour enclencher la série d’événements entraînant votre blessure – vous étiez par conséquent, la source d’inattendu (ou, dans mon cas, je suis la source, dans son cas, il est la source, etc.).
Cherchions-nous à nous blesser? C’est invraisemblable. C’était probablement dû à une erreur, un mauvais calcul, une sous-estimation, etc., ce qui a enclenché une série d’événements subséquents. Ou, c’était une erreur humaine à l’origine (la nôtre) qui a mis en mouvement une série d’événements. L’idée n’est pas neuve, si vous êtes le parent de jeunes enfants. Après tout, si votre enfant monte les escaliers en pleurant – la plupart des parents lui demanderont : « Est-ce que tu t’es fait mal? » Bien souvent, vous n’avez même pas à leur poser la question, car l’enfant vous offre l’information. « (En sanglotant)…je me suis fait mal… » Tel que mentionné, parfois un baiser et un bandage suffiront – parfois, non. Des points de suture ou un plâtre peuvent s’avérer nécessaires.
Mais, imaginez un ouvrier qualifié ayant à son actif 20 années de service qui se présente à l’infirmerie. Vous lui demandez : « Est-ce que tu t’es fait mal? » (Personnellement, je ne vous le suggère pas.) Toutefois, combien de fois les circonstances ou la source de l’inattendu seront-elles très différentes de celles qui se sont produites lorsque l’enfant s’est blessé, l’adolescent s’est blessé ou lorsqu’un autre adulte est au volant de son véhicule? Combien de fois avez-vous entendu : « je ne l’avais pas vu », « je n’y pensais pas » ou « quelque chose m’a frappé » (être dans la ligne de tir ou se diriger vers elle) ou encore « j’ai perdu mon équilibre, mon adhérence, ma prise »? Ces quatre erreurs (ou une combinaison de plusieurs états) contribuent à plus de 90 pour cent de toutes les blessures sérieuses enregistrées. Si vous consultez la pyramide de risques et descendez d’un niveau pour inclure les bosses, les ecchymoses, les égratignures et les coupures, les mêmes états ont contribué à plus de 99 pour cent des blessures sérieuses.
Évidemment, si plus de 90 pour cent des blessures sérieuses sont attribuables à nous-mêmes (causées par nos propres erreurs), le but du jeu est de réduire l’erreur humaine ou minimiser ses effets négatifs. Malheureusement, ces deux stratégies n’ont pas été examinées de façon égale.
Les progrès en ce qui concerne les mesures d’ingénierie, les dispositifs de protection, l’équipement de protection individuel et la conception de procédures sont au premier plan. Et pour de bonnes raisons – ces mesures s’avèrent très efficaces. Mais, peut-on éliminer tous les dangers? Bien sûr que non! Toutefois, il existe une réticence, dans certains cas une forte réticence, à apprendre comment réduire les erreurs non-intentionnelles que nous commettons et qui peuvent nous causer des blessures. Il est beaucoup plus à la mode d’essayer de « réparer » quelque chose.
Bien qu’il soit inutile de blâmer quelqu’un (ou pire), et de ne rien faire, vous « acceptez » que la blessure n’était pas évitable – réparer quelque chose qui a contribué aucunement à la blessure ne sert à rien, non plus.
Parmi tous les exemples qui me viennent à l’esprit, celle qui est le plus ridicule – en termes de réparer quelque chose qui n’a contribué aucunement à la blessure – concerne un travailleur de service hydroélectrique qui marchait à reculons dans un parc de stationnement en racontant une blague à ses collègues. Il trébucha sur une bordure de béton, tomba et fractura l’os de son poignet. L’entreprise d’électricité décida de peinturer toutes les bordures de béton en jaune. Même les partisans les plus dévoués du syndicat ont reconnu que ce geste était ridicule. « Combien efficace serait-il de peinturer les bordures en rose fluorescent? À moins d’avoir des yeux tout autour de la tête, le travailleur ne les verra pas, peu importe leur couleur… »
Est-il possible de minimiser l’erreur humaine? Oui. Les approches traditionnelles de la sécurité axée sur le comportement peuvent réduire l’erreur humaine généralement en effectuant des observations machinalement et par de la répétition. L’approche fonctionne et ce, même si elle prend du temps et coûte cher. Toutefois, une méthode qui s’avère plus rapide et plus efficace est d’examiner ce qui cause tous les types d’erreurs et de s’améliorer en regard à ces facteurs humains ou états. En d’autres termes, consulter la pyramide de risques, descendre encore d’un niveau et y ajouter les erreurs (voir figure 3).
Qu’est-ce qui pousse les gens à commettre des erreurs? Et, bien, beaucoup de choses. Mais, si vous interrogez les 40 000 personnes mentionnées ci-dessus, la cause principale est la précipitation. Ce genre de nouvelles ne fera pas tomber grand-mère de sa berceuse. Après tout, « souvent tout gâte qui trop se hâte » n’est pas une nouvelle expression. Une autre cause ou un autre état qui serait mentionné – toutefois, pas aussi fréquemment que la précipitation est la fatigue. Vous entendrez parler également de la frustration et de l’excès de confiance.
D’autres états seront peut-être également mentionnés. Toutefois, pouvez-vous réfléchir à un exemple ou à une blessure que vous avez subie où vous étiez LA cause, (pas l’équipement ou quelqu’un d’autre) et où vous n’étiez pas pressé, frustré, trop fatigué ou vous ne péchiez pas par excès de confiance et ne pensiez plus aux dangers? Maintenant, pouvezvous réfléchir à un exemple ou à une blessure que vous avez subie où vous étiez LA cause, et où vous aviez les yeux fixés et la pensée fixée sur ce que vous faisiez, vous étiez conscient de la ligne de tir et la possibilité de perdre l’équilibre, l’adhérence et la prise? Si oui, vous êtes la première personne parmi 40 000 personnes. En d’autres termes, un (ou plusieurs) de ces quatre états ont causé ou contribué à une (ou plusieurs) de ces quatre erreurs. (Voir figure 4.)
Une fois que vous constatez l’existence de ces modèles de l’état d’erreur (et ils sont partout), tout ce qu’il vous reste à faire est d’apprendre aux gens à identifier l’état dans lequel ils sont avant qu’ils ne commettent une erreur, ou une erreur qui peut causer une blessure. Cela contribuera non seulement à réduire les blessures, mais à diminuer également les problèmes de qualité, les problèmes d’efficacité et les bris d’équipement ou les dommages aux véhicules.
Pendant que vous apprenez aux gens à commettre moins d’erreurs, n’abandonnez pas vos efforts pour diminuer les effets négatifs, si les gens continuent de commettre des erreurs, car, ils en commettront, (ils en commettront moins, on l’espère, après leur formation), mais ils en commettront quand même. En d’autres termes, il vous faut appliquer les deux principes. Il peut s’avérer nécessaire de ne pas négliger vos efforts pour promouvoir un milieu de travail plus « tolérant aux erreurs » afin d’éviter de donner l’impression que vous assignez toute la responsabilité aux « travailleurs ». Il est beaucoup plus efficace d’éliminer ou de diminuer le danger lorsque cela est possible.
L’exemple le plus ridicule qui me vient à l’esprit concerne une entreprise de production cinématographique et de design graphique. Le personnel de cette entreprise préférait utiliser un dévidoir à ruban adhésif avec un support en métal afin que les gens puissent employer une main pour coller le film sur la table lumineuse. La lame de coupe utilisée pour couper le ruban s’était brisée. Pour régler le problème, la lame de coupe a été remplacée par une lame de rasoir. En réalisant qu’une source de danger (risque) avait été ajoutée à la tâche, une mise en garde a été apposée sur le dévidoir.
Tout le monde, même le propriétaire et le gestionnaire se sont coupé le doigt ou la main sur la lame de rasoir au cours des premiers mois suivant cette « modification ». La lame de rasoir ne pouvait, sans doute, distinguer les doigts d’un travailleur, des doigts du propriétaire – les doigts inintelligents ou les doigts intelligents. Après que le propriétaire eut reçu des points de suture une deuxième fois, il songea à faire appel aux services d’un consultant, afin que ce dernier apprenne aux travailleurs comment améliorer leur sensibilisation à la sécurité, leurs habitudes et comportements, etc.
Ayant pris connaissance de la raison pour laquelle on avait fait appel à ses services, le consultant dit : « Vous faites des blagues, sûrement? » Le propriétaire répondit : « Et bien…nous savons tous que la lame de rasoir existe mais nous nous sommes tous coupés le doigt ou la main… » Le consultant dit au propriétaire : « Achetez un nouveau dévidoir à ruban adhésif, de cette façon vous n’aurez pas à vous inquiéter si les gens ne regardent pas ou ne pensent pas pendant une seconde. » Par la suite, le consultant dit au propriétaire qu’il serait disponible à parler aux employés à propos des techniques de sensibilisation avancées puisqu’ils conduisaient sur les autoroutes QEW et 401 – où vous ne pouvez pas simplement vous acheter une nouvelle voiture. (L’autoroute 401, à Toronto, est la deuxième autoroute la plus utilisée au monde – elle comprend 16 voies.)
Et les mêmes conseils s’appliquent à tout le monde. Minimiser ou éliminer les dangers autant que possible. Lorsque vous êtes au bout de la ligne… vous pouvez ensuite examiner les comportements.
Mais, n’allez surtout pas négliger ou abandonner le principe de l’erreur humaine parce que vous croyez que les gens pensent que vous blâmez le « travailleur inintelligent ». Vous pouvez apprendre aux gens à commettre moins d’erreurs et moins d’erreurs causant des blessures. Des centaines d’entreprises ont déjà obtenu du succès avec cette approche, ce qui a permis de réduire de façon considérable, le nombre de blessures enregistrées. Elles ont également réussi à diminuer les blessures à l’extérieur du travail de même que les blessures et incidents impliquant la conduite automobile. Le moral ne s’en est pas trouvé diminué, pour autant. Au contraire! Il s’est amélioré. Les gens ne sont pas stupides, ils savent comment ils se blessent (nous avons tous nos propres données et une expérience personnelle en regard aux milliers de blessures que nous avons subies). Lorsque vous leur offrez un outil pratique qui les aidera au travail, en dehors du travail et surtout sur la route, ils l’apprécient. Certaines personnes appliquent ces mêmes concepts à la maison pour protéger leurs familles.
Larry Wilson agit à titre de consultant en matière de sécurité axée sur le comportement depuis plus de vingt ans. Il intervient dans plus de 2 000 entreprises situées au Canada, aux États-Unis, au Mexique, en Amérique du Sud, dans les pays du bassin Pacifique et en Europe. M. Wilson est le principal auteur de SafeStart, un programme de formation de pointe à la sensibilisation à la sécurité, celui-ci utilisé par plus de 1 500 000 personnes, dans plus de 40 pays et en 25 langues.
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¹ Un nombre d’accidents déclarés par million d’heures travaillées (TRIR) de deux signifie que 50 % des travailleurs n’auront pas enregistré de blessures au cours de 25 ans, alors que les autres travailleurs n’auront enregistré qu’une blessure au cours de 25 ans. (Deux blessures enregistrées parmi 100 travailleurs par année = deux blessures enregistrées par un travailleur au cours de 100 ans, une blessure enregistrée par un travailleur au cours de 50 ans ou une blessure enregistrée entre deux travailleurs au cours de 25 ans.)